samedi 4 novembre 2017

Cette vie qui pourrait être si bonne

Dans ce nouvel extrait de "la joie de vivre", on retrouve la bonne Pauline jouant les médiatrices pour un couple jouant sans cesse la même querelle.

Ils repartirent tous les deux, ils soulagèrent sans ménagement leur rancune, amassée pendant les heurts continuels de leurs caractères. C'était, sur les moindres faits, une taquinerie première qui, peu à peu, les jetait à un état aigu d'antipathie, dont la journée restait ensuite désolée. Elle, avec son visage doux, finissait par devenir méchante, depuis qu'il touchait à ses plaisirs, d'une méchanceté de chatte câline, se caressant aux autres et allongeant les griffes. Lui, malgré son indifférence, trouvait dans les querelles une secousse à l'engourdissement de son ennui, s'y entêtait souvent par cette distraction de se donner la fièvre.

Pauline, cependant, les écoutait. Elle souffrait plus qu'eux, cette façon de s'aimer ne pouvait lui entrer dans l'entendement. Pourquoi donc n'avoir pas la pitié mutuelle de s'épargner ? Pourquoi ne pas s'accommoder l'un de l’autre, lorsqu'on doit vivre ensemble ? Il lui semblait si facile de mettre le bonheur dans l’habitude et dans la compassion.

[...]

Bien qu’elle se fût promis de se tenir à l’écart, Pauline, frémissante, les interrompit.
– Taisez-vous, malheureux !... C’est vrai que vous la gâchez à plaisir, cette vie qui pourrait être si bonne. Pourquoi vous exciter ainsi à dire des choses irréparables, dont vous souffrirez ensuite ?... Non, non, taisez-vous, je ne veux pas que ça continue ! Vous êtes tous les deux de grands enfants, également coupables, et qui ne savez quoi faire pour vous torturer. Mais je ne veux pas, entendez-vous ! je ne veux pas des gens tristes autour de moi... Vous allez vous embrasser tout de suite.

Emile Zola, La joie de vivre (1884)

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